Le point de vue de Eric Heyer

Le point de vue de Eric Heyer

Enjeux économiques à court et moyen terme

Pour Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), les réponses à la crise sur le vieux continent restent trop nationales. Des mesures européennes s’imposent afin d’éviter de créer une concurrence intra-européenne.

Parole
d'expert

La difficulté aujourd’hui est de voir s’ajouter une crise énergétique aux effets d’une crise sanitaire que nous commencions à peine à rattraper. Pour l’année 2022, la prévision de croissance de 4,2 % du PIB en France a ainsi été ramenée à 2,7 %. Ce nouveau choc risque de nuire à la croissance de long terme. La situation en est actuellement à son paroxysme avec une hausse de l’inflation et de fortes tensions sur l’approvisionnement en énergie.

Mais la vérité de cette crise risque fort d’éclater lors des tout prochains renouvellements des contrats énergétiques des entreprises. Si ces dernières ont perdu environ 60 milliards d’euros lors de la crise sanitaire, l’essentiel de cette perte a été couvert par les PGE (prêt garanti par l’État) et la dette sociale et fiscale. Or, en 2022, ont commencé les premiers remboursements des PGE.

Le risque d’une crise sociale

Le coût de la crise énergétique est évalué à 85 milliards d’euros. Au-delà des aides de l’État, près de la moitié - 40 milliards - sera absorbée par les ménages et les entreprises. Soit les entreprises feront l’essentiel de l’effort en augmentant les salaires, soit ce seront les ménages en subissant une perte de leur pouvoir d’achat, soit ce sera une combinaison des deux. On semble s’orienter vers des salaires qui vont croître moins vite que l’inflation. Le différentiel devrait être de 2 %.

Dans ce cas de figure, la sur-épargne des ménages réalisée lors de la crise sanitaire pourrait être sollicitée : 170 milliards d’euros supplémentaires se sont ajoutés aux 250 milliards habituellement épargnés par les Français chaque année. Mais 85 % de cette sur-épargne est détenue par 20 % des ménages les plus aisés. Or, peu de mesures ont incité cette frange de la population à utiliser cette épargne : les 45 milliards d’euros du bouclier tarifaire sont en effet destinés à tous les Français, quel que soit leur revenu. Quant aux chèques énergie soumis à des conditions de ressources, l’initiative reste symbolique : cela ne représente que 1,5 milliard. Cette différence de traitement laisse planer le risque d’une crise sociale. Il faudrait donc prendre des mesures plus ciblées même s’il faut reconnaître que le bouclier tarifaire a permis à la France d’afficher le taux d’inflation le plus bas d’Europe.

Des réponses trop nationales

Du côté des entreprises, les aides ont été trop parcimonieuses. En Europe, pour des questions de distorsion de concurrence, il est difficile en effet de lancer des plans d’aides massifs aux entreprises. L’Allemagne, dans ce domaine, a toutefois déclenché les hostilités avec son plan d’aides de 200 milliards d’euros sur 2023 et 2024, dont plus de la moitié pour les entreprises. Si ce plan est effectivement appliqué, une brèche pourrait s’ouvrir. Sans compter que la politique protectionniste des États-Unis avec le plan IRA pourrait aussi faire bouger les lignes en Europe.

Mais pour l’heure, les réponses sur le vieux continent restent essentiellement nationales. La France n’a mobilisé que 15 milliards d’euros d’aides qui sont souvent jugées trop complexes à obtenir. En fait, sans mesures européennes, certains pays ne pourront pas suivre, créant ainsi une concurrence au sein même du marché européen.